La vie gourmande

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Faut-il arrêter de se souhaiter un « bel été » ?

Faut-il arrêter de se souhaiter un « bel été » ?

La politesse est pavée de bonnes intentions.

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Jessica Troisfontaine
juil. 06, 2025
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Faut-il arrêter de se souhaiter un « bel été » ?
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C’est la saison, partout on se souhaite de passer un « bel été »,
là où l’on se contentait un temps d’un « bon été ».

Le « bon été » est débonnaire, léger, il n’engage pas à performer,
mais voilà que le « bel » remplace le « bon » pour prendre un air soutenu ou pour adjectiver la bienveillance.

Le « bel été » a le menton haut et le sourcil relevé, il invite à dérouler un programme bien ficelé comprenant tout ce pour quoi on le convoite toute l’année : repos et retrouvailles, déconnexion scrupuleuse et siestes crapuleuses, sport et lecture, apéros en rafale et films avec Pedro Pascal.

Mais ces promesses ne sont-elles pas trop grandes pour lui ?
Est-ce que l’été, ce n’est pas aussi la solitude et les grains de sable dans la santé mentale, les enfants survoltés et les parents malades, la suffocation et le vague à l’âme, l’anxiété anticipatoire et la mélancolie programmée ?

Se souhaiter un « bel été », est-ce une simple politesse, de la réelle gentillesse ou une injonction à être un gagnant parmi les estivaliers ? Et si l’on se souhaitait simplement de s’entendre le mieux possible avec le soleil ?


26 juin. J’arrive chez ma psy et elle m’accueille avec un « bienvenue » assorti d’un large sourire, que je lui rends, mais pas trop grand, pour lui faire savoir que j’ai un sujet important dans mon sac aujourd’hui. Je m’installe sur le canapé et lui dis qu’une question m’obsède depuis une semaine : combien d’étés me reste-t-il à vivre ?

Elle a l’air contente. On n’a jamais parlé d’angoisse de mort, parce que la question de ma fin n’est pas de celles qui me taraudent. Je me suis toujours dit qu’elle arriverait quand elle devait arriver et qu’en attendant, il fallait vivre. Vivre plus grand que la vraie vie d’ailleurs si possible, c’est-à-dire vivre comme dans les livres.

Voici en résumé comment j’ai vécu à partir de ma majorité. J’ai d’abord tout bien fait pour faire plaisir et m’acheter une tranquillité, que j’ai rapidement transformée en liberté. Liberté de quitter mon pays d’origine, de couper des ponts, d’adopter une nouvelle identité, celle de l’avocate en droit des affaires zélée. Puis de tout raser, de me faire entrepreneure, d’habiller des milliers de femmes, d’aimer à m’abîmer, de ne pas dormir, de jouer avec les limites de mon corps, de mon mariage, de ma santé mentale. Ensuite de liquider, divorcer, déménager, vaciller, renaître. Enfin de travailler comme une forcenée pour être écoutée et lue, pour venger mon honneur peut-être, pour prouver que j’étais digne d’être aimée sûrement.

Selon l’angle et les jours, ça ressemble à de l’inconstance ou à une détermination à vivre l’aventure intellectuelle et physique de l’existence au plus près de son noyau brûlant. Sauf qu’à l’aube de cet été, je sens qu’il y a quelque chose qui cloche.

« Qu’est-ce qui se cache derrière cette question, d’après vous ? » me demande celle qui a l’air de plus en plus contente que je ne lui parle pas de mes histoires d’amour, pour une fois.

J’ai fait le calcul, je lui réponds. L’espérance de vie moyenne d’une femme de mon âge est de 85 ans. Il me resterait donc 51 étés. Mais je n’ai quasiment rien prévu pour les prochaines semaines. Et ne rechignant jamais à ajouter du drame par-dessus mes privilèges, j’ajoute : or j’ai l’impression que si mon été n’est pas génial, c’est comme si je perdais une année de vie entière.

« Qu’est-ce que ça serait, un été génial ? » rebondit-elle. J’hésite à dériver sur le terrain des relations sentimentales parce qu’on était bien parties. Je me ressaisis et souffle que je ne sais pas ce que ça veut dire pour moi cette année.

Il y a deux ans, le bleu a été ôté de mon été et il se joue manifestement quelque chose comme un bilan des fissures qui persistent en dépit d’avoir été très appliquée aux travaux de réparation (thérapie, surinvestissement de mes projets professionnels et dating intensif – la trinité des cœurs brisés).

« Je formule l’hypothèse que… ». Je me redresse, cette formulation est souvent le point de départ de grands dénouements.

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