Peut-on sortir victorieux des combats contre son corps ?
Pistes de réconciliation et autres lumières au bout du tunnel.
Celles et ceux qui aiment les lectures à voix haute pourront retrouver un enregistrement audio de cette lettre un peu plus bas dans le texte.
Petit sumo et les prémices du combat
La gourmandise fait palpiter toutes les cellules de mon corps d’aussi loin que je m’en souvienne.
Elle a arrondi mes joues et flirté avec la gloutonnerie dès mon enfance. C’est comme si j’étais tombée toute petite dans la marmite de la faim, tambourinant inlassablement des couverts sur la table, réclamant sans cesse qu’on me nourrisse davantage… Jusqu’à me voir affubler du mordant sobriquet de « petit sumo » par mes parents.
Le surnom était affectueux, comme les surnoms le sont toujours. J’étais une petite fille très sensible et j’ai été plus ou moins briochée selon les années, de ces rebonds mignons que les adultes disent avoir envie de manger.
À 11 ans, j’ai fait la connaissance d’une diététicienne après qu’il a été jugé inquiétant que mon pantalon de ski me serre autant. Elle m’a prescrit un régime et un devoir : celui de noter chaque jour ce que je mangeais dans un carnet que je lui tendrai lors de mes visites, avant ou après la pesée, je ne me souviens plus. Le souvenir de la frustration ressentie face à la restriction alimentaire est quant à lui l’un des plus vifs de mes jeunes années.
Le régime avait bien fonctionné, si l’on s’en tenait au résultat visible : ma silhouette s’était affinée. Mais dans ma tête, de nouvelles complexités s’étaient invitées et par la suite, la qualité de ma relation avec mon corps, et par ricochet avec la nourriture, s’est dégradée. Doucement, presque imperceptiblement. Et en douce.
L’entraînement
J’ai appris très tôt à dompter les mouvements de mon corps. À porter ma tête haute et à étirer mes membres jusqu’au grand écart à la danse classique, à délier mes doigts sur les touches d’un piano, à alterner les coups droits et les revers sur un cours de tennis.
J’étais consciencieuse et performante, portée par un tempérament « première de la classe » et prête à déployer une montagne d’efforts pour récolter des éloges.
Il y a cependant un domaine dans lequel mon corps a beaucoup résisté à mes tentatives de domptages : celui de son poids.
En grandissant, ma silhouette n’a cessé de fluctuer au gré de mes émotions et de mon inclination à les manger, à défaut d’être capable de les exprimer. L’adolescence m’a apporté une poitrine éclatante et des troubles du comportement alimentaire invisibles.